
La Cour des comptes rend public le 26 mai 2025 son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Elle tire le signal d’alarme car elle craint une crise des liquidités à l’avenir qui pourrait se traduire par un empêchement de la sécurité sociale à remplir ses fonctions par un défaut de paiement. Le déficit de la Sécurité sociale est dû aux trois quarts par un manque de recettes dont seulement un quart du côté de la branche maladie. Pour la Cour, il y a une perte de maîtrise des comptes sociaux et une trajectoire financière hors de contrôle.
Jusqu’en 2024, la nouvelle dette créée par le déficit de la Sécurité sociale pouvait être prise en charge par la Caisse d’Amortissement de la Dette sociale (Cades), qui a la possibilité d’emprunter à moyen et long terme, dans des conditions plus favorables qu’à court terme.
Mais, depuis 2024, la Cades est arrivée au maximum de la dette qu’elle peut prendre en charge, et les déséquilibres actuels entre recettes et dépenses doivent être comblés par l’Agence centrale des Organismes de Sécurité sociale (Acoss), qui ne peut qu’emprunter à court terme.
La Cades peut être « rechargée » et prolongée – elle l’a été à plusieurs reprises depuis sa création en 1996 –, ce qui repousserait le risque évoqué par la Cour des Comptes. Mais une loi organique est nécessaire ce qui paraît compliqué dans la situation politique actuelle au parlement.
En 2024, le déficit de la sécurité sociale atteint 15,3 Md€, soit 4,8 Md€ de plus que la prévision initiale. L’aggravation du déficit est due, pour les trois quarts, au moindre rendement des recettes et, pour un quart, à une augmentation des dépenses de la branche maladie qui va au-delà de l’objectif assigné. En 2025, le déficit de la sécurité sociale devrait de nouveau fortement augmenter et atteindre 22,1 Md€. Cette prévision est fragile car elle repose sur des hypothèses optimistes de croissance. Elle suppose la réalisation de mesures d’économie sans précédent pour l’assurance-maladie (5,2 Md€) et une bonne tenue des dépenses de soins de ville, responsables du dérapage en 2024.
Pour l’avenir, la loi de financement pour 2025 a, une nouvelle fois, dégradé la trajectoire financière de la sécurité sociale, avec un déficit qui atteindrait 24,1 Md€ en 2028, sans perspective de stabilisation et encore moins de retour à l’équilibre. La prévision de déficit 2027 est supérieure d’un tiers à ce qu’elle était en 2024. La dette sociale à court terme va augmenter rapidement. Un risque croissant de crise de liquidité pèse sur ses conditions de financement.
« Des réformes nécessaires pour redresser les comptes sociaux
Le montant des allégements généraux de cotisations patronales, qui ont pour objet de réduire le coût du travail, a presque quadruplé entre 2014 et 2024, pour atteindre 77 Md€. Cette perte de recettes pour la sécurité sociale est, en principe, compensée par l’Etat mais les modalités de cette compensation sont devenues défavorables. Dans le contexte actuel de dégradation de l’équilibre financier de la sécurité sociale, une meilleure maîtrise de cette dynamique est nécessaire, tout en tenant compte des enjeux économiques associés. Le reprofilage de la réduction générale en 2026 pourrait inclure un élargissement d’assiette à de nouveaux compléments de salaires et un abaissement du plafond d’éligibilité jusqu’à 2,5 Smic, pour une économie de 3 à 5 Md€ à comportements inchangés.
Dans les hôpitaux, la Cour a examiné le recours à l’intérim paramédical (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, aides-soignants, etc.). Cette modalité de remplacement, normalement exceptionnelle, tend à se développer rapidement, ce qui est coûteux, soulève des difficultés de gestion des ressources humaines et peut dégrader la qualité des soins. La Cour recommande de contrôler les volumes horaires des cumuls d’emplois, de plafonner les rémunérations et de traiter les causes structurelles de ce développement.
Le personnel non-soignant, administratif, logistique et technique, est souvent perçu comme trop nombreux dans les hôpitaux publics français. Toutefois, il n’existe pas de cadre fiable de comparaison des données avec les pays étrangers ou le secteur privé qui permettrait de confirmer ce présupposé. Pour autant, la performance des services support devrait être mieux analysée et améliorée par un développement des mutualisations, un recours au cas par cas à l’externalisation et une modernisation des processus administratifs, en recourant notamment à l’intelligence artificielle.
Le stock stratégique de masques acquis pendant la crise covid, hétéroclite et vieillissant, est en cours de renouvellement. La perspective de saturation prochaine des sites de stockage impose de déterminer quand les masques périmés deviennent inutilisables et de mettre en œuvre une gestion dynamique du stock en distribuant gratuitement les masques aux hôpitaux et aux Ehpad avant péremption.
Plus de 700 000 personnes cumulent leur retraite avec une activité professionnelle, hors militaires et régimes spéciaux. Par comparaison aux autres pays européens, la loi française est plus confuse et plus accommodante. Elle permet à de nombreux cadres et à des personnes ayant bénéficié d’un dispositif carrière longue de cumuler une retraite à taux plein avec la poursuite d’une activité professionnelle avant 67 ans.
Une remise en ordre permettrait à la sécurité sociale d’économiser 500 M€ par an…
Les retraites versées aux personnes vivant à l’étranger présentent des risques spécifiques de fraude, notamment la non-déclaration du décès du pensionné. Depuis 2017, des progrès importants ont été constatés, notamment avec le développement des échanges informatisés de données avec d’autres pays européens. Les contrôles physiques d’existence se sont développés en Algérie et au Maroc mais doivent être intensifiés, en recourant notamment à la reconnaissance faciale biométrique. Les installations à l’étranger bénéficiaires du minimum vieillesse pourraient être mieux contrôlées.
Les indus sont des montants versés à tort par les caisses de sécurité sociale en raison d’erreurs, d’omissions ou de fraudes. Les indus non-détectés restent trop nombreux. La détection et le recouvrement des indus frauduleux ont progressé mais restent insuffisants : il faudrait recouvrer les indus sur toute la période permise par la prescription légale et recourir à l’intelligence artificielle pour exploiter les nombreux dossiers concernés. Un meilleur recouvrement des franchises et participations rapporterait entre 500 M€ et 1 Md€ à la branche maladie… »